Le citoyen et l’échotier (dialogue de comptoir)

Il était une fois dans un petit village de la France profonde, immuno-résistant au virus démocratique, un représentant de l’action citoyenne et un échotier adoubé par le pouvoir oligocratique local. Le premier avait donné rendez-vous au second dans l’estaminet municipal pour tenter de le convaincre de publier dans l’organe de la PQR qui l’employait, un papier sur le projet de l’action citoyenne demandant au conseil municipal de présider à l’installation d’une assemblée citoyenne, espace de dialogue et de démocratie locale. Après échange préliminaire de quelques verres de jus de treille fermenté, le dialogue de fond s’engagea franchement et sans détour :

L’échotier : ” Tu sais bien que je ne suis pas d’accord avec vous, alors pourquoi veux-tu que je vous fasse de la pub dans mon journal ?”

Le citoyen : “Mais pourquoi n’es-tu pas d’accord, tu n’est pas favorable à la démocratie ?”

L’échotier : “La démocratie c’est tout le monde qui décide et si tout le monde décide, c’est personne qui décide. C’est le foutoir …..”

Le citoyen : “Attention, là, tu nous calomnies ! Nous n’avons jamais dit que tout le monde devait décider. Nous disons simplement que le conseil municipal doit consulter la population avant de décider de mesures importantes. Vrai ou faux ?”

L’échotier : [….Silence….]

Le citoyen : “Nous n’avons jamais revendiqué la co-gestion des affaires, mais uniquement la participation. Nous n’avons jamais revendiqué le pouvoir de décision, mais uniquement le droit de regard. Nous avons toujours dit que le conseil municipal devait rester maître de sa décision, même après avis contraire de la population. Vrai ou faux ?”

L’échotier : [….Silence….]

Le citoyen :” Mais pourquoi n’es-tu donc pas d’accord avec ce type d’évolution du mode de prise décision ?”

L’échotier : “Ecoute ! J’ai 76 ans et ce n’est pas à mon âge que je vais devenir révolutionnaire, je n’aspire qu’à une vie tranquille et sans histoires. Mais je transmettrai à ma rédaction votre projet et ils le publieront s’ils le jugent nécessaire.”

Le citoyen : “OK, là tu me récites le catéchisme de la ligne éditoriale. Mais toi, en tant que journaliste responsable, tu peux bien écrire un article de ta propre initiative, non ?”

L’échotier : “Mais puisque je te dis que je ne suis pas d’accord avec vous, je ne vais quand même pas écrire un article allant à l’encontre de mes convictions !..”

Le citoyen : “Certes, mais ta mission en tant que journaliste n’est-elle pas de rendre compte des différentes tendances locales en toute objectivité, et pas uniquement de te faire l’écho des sessions du conseil municipal ?”

L’échotier :  “Je ne pense pas qu’il y ait lieu de livrer une autre version que la version officielle de la municipalité. Tout le monde est très content ici, la commune est bien gérée, il n’y a pas de gaspillage ….”

Le citoyen : “Ca c’est toi qui le dit ! Et d’abord qu’appelles-tu bien gérée ? Le code des collectivités territoriales dit que la gestion d’une commune doit être guidée par l’intérêt général ? Es-tu donc seul dépositaire de l’intérêt général pour juger de façon aussi péremptoire ?”

L’échotier : “Vos histoires de démocratie locale, c’est bon pour les grandes villes, mais pas pour un village comme ici, c’est trop petit”

Le citoyen : “Ah bon ? Alors, d’après toi, la démocratie n’est bonne que pour les grandes villes ? Dans une petite ville, les citoyens ne doivent pas être consultés et les décisions doivent être prises de façon autocratique. En quelque sorte, tu nous proposes une vision de  l’Histoire à deux vitesses : la république dans les grandes villes, et la féodalité dans les petites villes ?”

L’échotier : [….Silence….]

Le citoyen : “Penses-tu, par exemple, qu’il soit normal que le conseil municipal ne consulte pas les citoyens avant d’investir des fonds publics importants dans telle ou telle affaire commerciale, avec les risques inhérents qui en découlent, la décision finale revenant naturellement à lui seul, mais en toute connaissance de cause ?

L’échotier : [….Silence….puis] : “De toutes façons, vous, vous n’êtes que dans la contestation systématique et la critique injustifiée, ce qui crée l’évolution de certaines choses dans le village. Tout ceci nécessite un pouvoir municipal fort et qui parle d’une seule voix pour y faire face.”

Le citoyen : “Ca c’est encore de la calomnie. Nous ne faisons que poser des questions et protester contre les éventuelles discriminations et possibles abus de pouvoir. Par contre, là où tu as raison c’est lorsque tu dis que le conseil municipal ne parle que d’une seule voix, car tu sais très bien que lors des conseils municipaux, il n’y a pratiquement jamais de débat, les résolutions sont toujours approuvées à l’unanimité. C’est à chaque fois la sempiternelle litanie-express : qui est contre?/qui s’abstient?/je vous remercie!”

L’échotier : “Tu exagères, ce n’est tout de même pas la dictature…..”

Le citoyen : “Un seul homme qui décide tout seul, tu appelles ça comment ?”

L’échotier : “Mais s’il n’a pas de débat en conseil municipal c’est parce qu’ils en ont déjà parlé avant !…”

Le citoyen : “Quoi ! Insinues-tu par là même que les débats du conseil municipal sont pré-arrangés, c’est à dire qu’ils ont déjà eu lieu à huis clos avant et que les sessions publiques ne sont, en fait, que des chambres d’enregistrement de décisions déjà actées auparavant lors de  réunions privées ? Bigre ! Ce serait là le symptôme aggravé d’un déni de démocratie encore plus grand par le fait de soustraire aux yeux des citoyens les débats stratégiques de ses représentants. De ce point de vue, je serais moins sévère que toi et je me contenterais de penser qu’il ne s’agit là que de la manifestation d’un despotisme, somme toute assez banal, ayant poussé et s’étant développé sans entrave sur le terreau de la soumission organique des individus aux représentations de l’autorité.”

L’échotier : “Peu importe ces raisonnements compliqués, l’essentiel c’est de faire confiance aux élus et de ne pas les embêter dans leur travail quotidien, qui est déjà assez pénible. Parce qu’au final, tout le monde sait que la commune est bien gérée et  vous fatiguez tout le monde avec vos discours à rallonge.”

Le citoyen : “Ainsi donc, tu te prends pour tout le monde à toi tout seul en affirmant que  tout le monde trouve nos discours fatigants. Quant au fait d’être si sûr que la commune est bien gérée, je te conseille de lire le rapport de l’audit communal citoyen, à paraître prochainement, avant de finaliser cette opinion générale dont tu prétends détenir la certitude.”

Là dessus les deux compères se séparèrent bons amis et reprirent chacun le cours de leur vie quotidienne.

Petite fable rurale

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